Pourquoi certaines décisions marketing, pourtant bien intentionnées, mènent-elles à des échecs inattendus ? Pourquoi un budget alloué à une campagne “évidente” n’apporte-t-il aucun résultat ? Et pourquoi persiste-t-on parfois à croire qu’une stratégie va fonctionner, malgré les signaux contraires ?
La réponse se cache souvent dans un domaine que les marketeurs sous-estiment : les biais cognitifs. Ces mécanismes mentaux, automatiques et inconscients, influencent fortement nos jugements, nos arbitrages et nos actions – même chez les professionnels aguerris.
En marketing, ces biais peuvent fausser l’évaluation d’une campagne, le choix d’une agence, la perception des besoins clients ou encore la mesure des performances. Et pourtant, peu d’équipes en ont conscience.
Cet article vise à vous faire prendre conscience de ces pièges invisibles qui sapent vos décisions – et surtout à vous donner des clés concrètes pour les contourner. Car mieux comprendre nos biais, c’est mieux décider.
Comprendre les biais cognitifs : mécanismes et implications
Qu’est-ce qu’un biais cognitif ?
Un biais cognitif est une déformation systématique de la pensée qui influence nos jugements et décisions, souvent de manière inconsciente. Il ne s’agit pas d’un simple défaut d’analyse, mais d’un raccourci mental utilisé par notre cerveau pour aller plus vite… au détriment parfois de la lucidité.
Ces biais sont le fruit de milliers d’années d’évolution : ils nous ont aidés à survivre dans un environnement complexe, mais deviennent contre-productifs dans des contextes stratégiques modernes comme le marketing.
Pourquoi les biais impactent nos décisions marketing
En marketing, les décisions sont souvent prises dans un environnement incertain, avec une forte pression sur les résultats et des données parfois partielles. Dans ce contexte, notre cerveau cherche à simplifier, à aller vers ce qui “semble logique” ou “rassurant”.
Résultat : même les professionnels expérimentés tombent dans des pièges cognitifs qui influencent :
- Le choix des canaux ou agences
- L’interprétation des données de performance
- La sélection des personas ou messages-clés
- Les arbitrages budgétaires ou créatifs
Le danger invisible : un biais n’a pas l’air d’un biais
La particularité d’un biais cognitif est qu’il ne se voit pas : il donne l’impression que notre raisonnement est solide. On pense agir de manière rationnelle, alors qu’on reproduit des schémas mentaux automatiques.
C’est pourquoi les biais sont d’autant plus dangereux qu’ils sont invisibles, fréquents, et collectifs : dans une équipe, plusieurs personnes peuvent partager le même biais sans s’en rendre compte.
7 biais cognitifs fréquents qui affectent les arbitrages marketing
1. Le biais de confirmation
Principe
Le biais de confirmation désigne notre tendance à privilégier les informations qui confirment nos croyances, tout en ignorant ou minimisant celles qui les contredisent. Il agit comme un filtre cognitif qui renforce nos certitudes… au détriment d’une vision objective.
Exemple concret
Un responsable marketing convaincu qu’une campagne “créative et décalée” va performer focalise ses tests utilisateurs sur les retours positifs. Les critiques évoquant une incompréhension du message sont relativisées ou jugées “hors cible”, alors qu’elles signalent un vrai décalage.
Impact stratégique
Ce biais verrouille la capacité d’ajustement. Il conduit à valider des choix mal orientés, à mal interpréter des données d’A/B testing ou à prolonger des campagnes inefficaces sous prétexte qu’elles “auraient dû marcher”.
2. L’effet d’ancrage
Principe
L’effet d’ancrage survient lorsque notre jugement est influencé par une première valeur de référence – même si celle-ci est arbitraire. L’ancre initiale biaise les évaluations suivantes et peut créer un faux cadre de comparaison.
Exemple concret
Lors d’un appel d’offres pour une campagne de notoriété, une première agence présente une proposition à 280 000 € sur 12 mois. Même si cette offre est déconnectée des attentes initiales, elle crée un point de référence. Les offres suivantes, à 200 000 €, paraissent plus raisonnables – alors qu’elles excèdent largement le budget initial de 120 000 €.
Impact stratégique
L’effet d’ancrage pousse à valider des enveloppes budgétaires inadaptées, à mal négocier ou à justifier un surinvestissement au détriment d’autres leviers. Il pénalise également l’évaluation rationnelle des agences ou des prestataires.
3. L’effet de halo
Principe
Ce biais survient lorsque l’on généralise à partir d’une seule qualité perçue (image, ton, réputation), en présumant que tout le reste sera du même niveau. C’est un jugement global basé sur une perception partielle.
Exemple concret
Une agence est perçue comme “haut de gamme” en raison de son site web très soigné et de sa présence dans la presse spécialisée. Cela suffit à rassurer le décideur, qui projette ce niveau d’exigence sur l’ensemble des prestations, sans évaluer réellement la méthodologie ou les résultats concrets.
Impact stratégique
On favorise des prestataires plus “glamour” que compétents, en se basant sur des signaux faibles. Le risque est de passer à côté d’une agence moins brillante sur la forme mais beaucoup plus efficace sur le fond.
4. Le biais de disponibilité
Principe
Nous avons tendance à juger la fréquence ou la pertinence d’un phénomène en fonction de la facilité avec laquelle des exemples nous viennent à l’esprit – souvent influencés par l’actualité, l’expérience personnelle ou les médias.
Exemple concret
Un dirigeant refuse d’investir dans une campagne sur Meta en affirmant “ça ne touche pas les décideurs B2B”. Il base ce jugement sur le fait qu’aucune de ses relations n’utilise la plateforme – sans considérer les données d’audience réelles ni les campagnes B2B performantes menées par d’autres marques.
Impact stratégique
Ce biais limite l’ouverture à de nouveaux canaux, technologies ou formats. Il renforce une vision autocentrée du marché et empêche d’explorer des opportunités pourtant pertinentes.
5. Le biais de statu quo
Principe
Nous avons une tendance naturelle à préférer les solutions en place, même si elles ne sont pas optimales. Le changement, perçu comme risqué ou inconfortable, est évité.
Exemple concret
Une entreprise conserve sa stratégie de salon professionnel annuel, malgré un ROI décroissant, car elle “a toujours fonctionné” et rassure l’équipe commerciale.
Impact stratégique
Ce biais freine l’innovation et la remise en question des pratiques historiques. Il peut mener à des dépenses chroniques inefficaces, au détriment de leviers digitaux plus pertinents ou mesurables.
6. Le biais de surconfiance
Principe
Nous surestimons nos compétences, notre mémoire ou notre capacité à prédire les résultats. Ce biais est particulièrement courant chez les experts ou managers expérimentés.
Exemple concret
Un directeur marketing pense pouvoir cadrer seul une refonte de plateforme web en s’appuyant sur son intuition et son expérience sectorielle, sans recourir à un audit UX ou à une analyse SEO poussée. Résultat : décalage entre la plateforme livrée et les usages réels des utilisateurs.
Impact stratégique
Ce biais conduit à ignorer des expertises utiles, à prendre des raccourcis méthodologiques ou à négliger les signaux d’alerte. Il génère des pertes de temps, des itérations coûteuses, voire des échecs projets.
7. L’aversion à la perte
Principe
Nous sommes plus sensibles à la perte d’un acquis qu’au gain équivalent. Ce biais nous pousse à conserver des actifs sous-performants pour ne pas avoir le sentiment de “gâcher” un investissement.
Exemple concret
Une entreprise maintient une campagne d’emailing peu performante sous prétexte qu’un abonnement à un outil coûteux a été souscrit. Elle préfère amortir le coût que d’admettre que la campagne est inefficace.
Impact stratégique
Ce biais bloque les arbitrages rationnels, empêche de redéployer le budget et de réallouer les ressources vers des canaux plus prometteurs. Il entretient une logique de coûts irrécupérables (“sunk cost fallacy”).
Comment déjouer ces biais dans vos décisions marketing
Identifier les biais cognitifs est un premier pas, mais l’essentiel reste de mettre en place des mécanismes concrets pour les contrer. Voici plusieurs leviers à activer pour reprendre le contrôle sur vos arbitrages marketing.
1. Instaurer des garde-fous collectifs
Pourquoi ?
Les biais sont plus puissants quand les décisions sont prises dans un tunnel : seul ou entre profils trop homogènes. La solution : introduire des points de vue variés et des processus d’analyse collective.
Comment faire ?
- Organisez des revues croisées entre équipes (marketing, commercial, data).
- Pratiquez le pré-mortem : imaginez ensemble pourquoi une stratégie pourrait échouer.
- Désignez un “avocat du diable” volontaire pour challenger chaque proposition.
Bénéfice : Vous rendez les biais visibles, donc discutables – et donc moins influents.
2. S’appuyer sur la donnée, pas sur l’intuition
Pourquoi ?
Les biais se développent dans les zones floues. Plus vous appuyez vos décisions sur des données mesurables, plus vous réduisez l’influence des raisonnements émotionnels ou approximatifs.
Comment faire ?
- Privilégiez des tableaux de bord partagés et construits autour d’indicateurs actionnables.
- Automatisez les tests A/B pour objectiver les choix créatifs.
- Analysez les performances réelles par levier et non par perception d’efficacité.
Bénéfice : Vous prenez des décisions fondées sur les faits, non sur des croyances.
3. Créer une culture de la remise en question
Pourquoi ?
Les biais cognitifs sont souvent renforcés par des cultures d’équipe figées ou des hiérarchies où l’on ose peu remettre en cause les décisions prises “au sommet”.
Comment faire ?
- Formez vos équipes aux biais cognitifs dans un cadre décomplexé.
- Valorisez les retours d’expérience, les post-mortems, et les enseignements issus des échecs.
- Favorisez un climat d’écoute où chacun peut remettre en question les évidences sans crainte.
Bénéfice : Vous favorisez des arbitrages plus lucides, même sous pression.
4. Introduire des scénarios alternatifs
Pourquoi ?
Un biais agit souvent comme un entonnoir mental. Pour en sortir, il faut introduire d’autres options, d’autres façons de penser le problème.
Comment faire ?
- Pour chaque décision, formulez au moins deux scénarios alternatifs.
- Utilisez la technique du “si… alors…” pour envisager plusieurs évolutions.
- Faites appel à des consultants extérieurs pour challenger les solutions envisagées.
Bénéfice : Vous ouvrez le champ des possibles et limitez les décisions par défaut.
Conclusion : reprendre le contrôle sur vos décisions marketing
Les biais cognitifs sont comme des parasites invisibles dans la machine de vos arbitrages marketing. Ils ne viennent pas d’un manque de compétence ou de rigueur, mais du fonctionnement même de notre cerveau.
La bonne nouvelle ? Ces biais ne sont pas une fatalité. En les identifiant, en les comprenant, et surtout en mettant en place des pratiques concrètes pour les désamorcer, vous regagnez en lucidité, en efficacité et en performance.
👉 Dans un univers où les intuitions séduisantes rivalisent avec les décisions fondées sur des données, l’exigence d’un regard critique devient un véritable levier stratégique.
Et si le prochain avantage compétitif des directions marketing ne reposait pas sur une nouvelle techno… mais sur une meilleure connaissance de leur propre fonctionnement cognitif ?
A propos du cabinet Advalians
Advalians est un cabinet de conseil en Marketing management
Nous accompagnons les directions Marketing & Communication dans leurs choix stratégiques, organisationnels et opérationnels pour leur permettre, aujourd’hui, de prendre les bonnes décisions pour demain.