Un climat de défiance sur fond de tempête
Le climat est lourd dans le monde de la communication. En quelques mois, plusieurs agences réputées ont disparu, fusionné ou été rachetées : Becoming, Enderby, La Fusée, Ici Barbès, Labelium, pour les plus connues, mais les chiffres sont tout aussi éloquents : plus de 1 200 procédures collectives sur le code APE des agences de publicité, et près de 800 dans le conseil en communication.
Au-delà des facteurs conjoncturels — inflation, atonie économique, climat politique et géo-politique, pression des achats, essoufflement du marché publicitaire —, une autre réalité s’impose, plus silencieuse mais plus profonde : la défiance s’est installée entre les agences et leurs clients. Les appels d’offres se multiplient, les compétitions s’allongent, les grilles tarifaires s’érodent, la transparence recule.
Le lien de confiance, qui faisait jadis la force et la fluidité de ces collaborations, s’est distendu. Et sans confiance, même la meilleure stratégie ne tient pas longtemps.
“Ce n’est pas seulement un marché qui s’essouffle, c’est une relation qui s’abîme.”
Les racines multiples d’une perte de confiance
Cette érosion ne s’explique pas par un seul facteur. Elle résulte d’un ensemble de dérives structurelles.
D’abord, la logique économique : la communication est trop souvent considérée comme un coût à réduire plutôt qu’un investissement à rentabiliser. Les directions achats ont pris le pas sur les directions marketing, imposant leurs process et leurs comparateurs de prix sans toujours savoir mesurer la valeur réelle d’une idée, d’une stratégie ou d’un accompagnement sur la durée.
Ensuite, la complexification du paysage technologique. Avec la montée en puissance du digital, des plateformes et désormais de l’intelligence artificielle, certains annonceurs pensent pouvoir se passer d’agence. Et certaines agences se sont, de leur côté, réfugiées dans la production ou l’opérationnel, au détriment de leur rôle stratégique.
S’ajoute à cela une culture du pitch permanent, qui entretient une compétition épuisante, souvent dénuée de transparence. On fait travailler dix agences pour n’en retenir qu’une, le plus souvent sans dédommagement, parfois même sans retour.
Enfin, le turnover des talents fragilise la continuité relationnelle. Les interlocuteurs changent sans cesse, la mémoire collective s’efface, les repères se perdent.
Résultat : la relation s’est bureaucratisée, appauvrie, désincarnée.
La confiance : un actif économique, pas une valeur molle
Il faut le rappeler : la confiance n’est pas un luxe éthique, c’est un actif économique. Les chiffres le confirment : les marques qui entretiennent une relation durable et équilibrée avec leurs agences évoquent des gains significatifs de performance parfois de l’ordre de 20 % à 30 % sur leurs campagnes, en raison d’une meilleure compréhension mutuelle, d’un engagement créatif plus fort et d’une agilité opérationnelle accrue.
La confiance fluidifie tout :
- elle raccourcit les cycles de décision,
- elle réduit les coûts cachés de coordination,
- elle encourage la prise de risque créative,
- et surtout, elle nourrit l’innovation.
C’est ce ciment invisible qui permet à un annonceur de donner carte blanche à son agence sur un projet ambitieux, ou à une agence d’oser une recommandation audacieuse sans craindre d’être mise en compétition le mois suivant.
Rebâtir la confiance : transparence, équité et alignement
Rebâtir la confiance ne se décrète pas. Cela passe par une refondation profonde du contrat de collaboration. Trois piliers s’imposent : la transparence, l’équité et l’alignement de valeur.
Transparence
La transparence, c’est d’abord celle du processus. Limiter les compétitions à un nombre raisonnable d’agences. Clarifier les critères de choix. Distinguer ce qui relève du conseil stratégique, de la production ou du déploiement opérationnel. Mais c’est aussi la transparence sur les données : partager les indicateurs d’impact, donner à l’agence accès à la donnée utile pour comprendre et optimiser ses actions.
Équité
L’équité, c’est reconnaître la juste valeur du travail intellectuel. Une idée ne se facture pas à l’heure passée, mais à son impact. C’est aussi admettre que la réflexion, la coordination ou l’analyse ne sont pas des “frais cachés”, mais des éléments constitutifs de la performance. L’équité, c’est enfin oser dire non à certaines pratiques : les appels d’offres “pour benchmark”, les délais intenables, les rémunérations à la baisse sans raison économique.
Alignement de valeur
La confiance renaît quand les objectifs sont partagés. Cela suppose de définir ensemble des KPI atteignables, mesurables et contrôlables, modulés selon les leviers réellement sous contrôle de l’agence. Et d’instaurer un système de rémunération mixte : une part fixe garantissant la stabilité, une part variable liée à la performance réelle. Certaines marques vont plus loin en partageant leurs bonus internes avec leurs partenaires agences. C’est cette logique de co-responsabilité qui doit inspirer la nouvelle relation.
L’IA : catalyseur de transparence, pas simple levier de marge
Paradoxalement, la révolution de l’intelligence artificielle peut être une formidable opportunité de restaurer la confiance — à condition d’en faire un sujet de transparence et non d’opacité.
Aujourd’hui, la plupart des agences utilisent l’IA pour accélérer leurs productions : génération de contenus, analyse de données, recherche d’insight, automatisation de reporting… Mais combien ont adapté leurs grilles tarifaires pour refléter cette nouvelle réalité ? Presque aucune.
Or, c’est là que réside une part du malaise.
L’IA ne doit pas être un simple levier d’augmentation de marge brute. Elle doit servir à repenser en profondeur la manière de travailler, de produire et de valoriser la création. Faire plus vite ne veut pas dire valoir moins — mais cela suppose de redéfinir ce qu’on facture réellement : non plus le volume de production, mais la valeur de l’intelligence, du discernement et de la pertinence.
À l’inverse, ne pas assumer ce changement, c’est entretenir un flou préjudiciable à la confiance. Quand l’annonceur découvre qu’une partie du travail a été réalisée par IA sans explication ni contextualisation, le doute s’installe. Quand l’agence garde pour elle les gains de productivité sans redéfinir la valeur du conseil, elle envoie le mauvais signal.
La transparence sur l’usage de l’IA, sur ses bénéfices et ses limites, doit devenir une composante éthique du contrat de confiance. C’est aussi une façon d’aligner les deux parties sur la même réalité : l’IA transforme les métiers, donc elle transforme aussi la valeur perçue et la rémunération qui en découle.
“La confiance renaîtra le jour où l’IA ne sera plus un secret de fabrication, mais un levier partagé de performance et de sens.”
Vers un nouveau contrat relationnel
Restaurer la confiance, c’est aussi repenser le cadre même de la collaboration. Passer d’une logique de prestation à une logique de co-création de valeur.
Cela suppose d’imaginer de nouveaux formats :
- Contrats pluriannuels modulables, mêlant conseil, pilotage et production.
- Indicateurs de succès partagés, définis dès le brief et réévalués régulièrement.
- Bonus croisés, attribués conjointement à l’agence et à l’annonceur en cas de dépassement des objectifs.
- Comités de pilotage mensuels, centrés sur la performance réelle et non sur la conformité du livrable.
C’est aussi le moment de revaloriser la parole et l’expertise, de retrouver le plaisir d’un dialogue stratégique, celui qui fait émerger de vraies idées. Parce que la confiance, c’est avant tout un climat : celui où chacun sait que l’autre joue pour la même équipe.
Et maintenant ?
La technologie, la data, l’IA vont continuer à bouleverser nos métiers. Mais aucune innovation ne créera durablement de valeur sans une base de confiance solide entre ceux qui conçoivent et ceux qui investissent.
Le secteur doit collectivement se poser la question : quelle relation voulons-nous entretenir demain entre agences et annonceurs ? Une relation transactionnelle, dominée par la défiance et la logique du moins-disant ? Ou une relation partenariale, fondée sur la transparence, la reconnaissance mutuelle et la co-création de valeur ?
Il ne tient qu’à nous de choisir.
Rebâtir la confiance, c’est redonner à nos métiers leur dignité, leur utilité et leur ambition. C’est aussi rappeler qu’une idée juste, un conseil éclairé ou une stratégie bien exécutée valent infiniment plus qu’un livrable livré dans les temps.
“La confiance n’est pas un supplément d’âme, c’est la condition première de toute performance durable.”
A propos du cabinet Advalians
Advalians est un cabinet de conseil en Marketing management
Nous accompagnons les directions Marketing & Communication dans leurs choix stratégiques, organisationnels et opérationnels pour leur permettre, aujourd’hui, de prendre les bonnes décisions pour demain.